Tous les chemins qui mènent à la célébrité artistique dans le monde de la musique classique comportent des arrêts obligatoires dans ces fameux concours internationaux de virtuosité et les Albertains de Calgary offrent cent mille dollars en développement de carrière avec leur concours Honens.
La liste des lauréats depuis 1992 est assez impressionnante et Luca Buratto a triomphé il y a une olympiade entière car ce sont un peu de vrais Jeux Olympiques en multiples volutes terrestres: plus de cent villes différentes et 43 pays offrent des concours avec leurs prix, des distinctions, des contrats d’engagement, tous ces concours sont membres d’une alliance ou fédération des compétitions internationales l’AAF (Alink-Argerich Foundation). Pour ma part, je ne suis vraiment assidûment que les résultats des neuf compétitions suivantes soit dans l’ordre le Tchaïkovsky de Moscou, le Chopin de Varsovie, le Van Cliburn de Fort Worth, le Reine-Élizabeth de Bruxelles, le Hamamatsu du Japon, le Busoni à Bolzano, le Leeds du Royaume-Uni, l’Arthur Rubinstein de Tel-Aviv et puisque nous vivons à Montréal, le nôtre.
C’est déjà beaucoup d’heures émouvantes mais exigeant écoute attentive et le plus souvent ce ravissement est inoubliable (avant les résultats officiels, bien entendu…puisque à chaque ronde fondent des espoirs injustement déçus, hélas!). Enfin, le Honens nous offrait mercredi soir 18 septembre avec le concours éclairé de l’administration de la salle Bourgie de découvrir le gagnant Luca Buratto dans un très beau programme Schumann. Je ne puis pas m’empêcher, chaque fois que j’entends un talentueux artiste au clavier, de m’inquiéter de cette profusion de rivaux et cette histoire de l’enregistrement qui nous hante sans qu’on ait en plus la nombreuse relève des auditeurs jeunes et passionnés comme nous le fûmes durant les années 1970-1990. Chaque fois, chaque soir que j’allais alors au concert ou au récital, adolescent et dans la vingtaine, nous avions un groupe d’une trentaine d’amis enthousiastes fort jeunes et habitués avec qui dialoguer ou échanger à l’entracte à propos des merveilles entendues! Combien nous tombions amoureux autant des oeuvres que des musiciens jeunes et moins jeunes nous les refaisant découvrir en direct!
Aujourd’hui, les salles de récital sont presque vides ou à peine à moitié pleines, parfois encore moins, beaucoup moins comme ce fut malencontreusement le cas mercredi soir à la salle Bourgie. Pourtant, on ne peut qu’admirer l’audace de Luca Buratto de s’attaquer à ces oeuvres gigantesques exigeant 70 heures de répétitions par semaine en plus d’avoir la générosité de nous offrir son très beau disque Schumann paru chez Hypérion avec une splendide Humoreske, les Danses de David, ainsi que les Blumenstuck.
Au programme du récital de la salle Bourgie se trouvaient tout d’abord les supposément faciles Scènes d’enfant qui recèlent justement toute la simplicité des mélodies enfantines similaires d’enchantement en toute terre et tous pays: cependant, elles comportent la difficulté piégée de faire sourdre et chanter souvent la main gauche, de respecter les accents d’intensité, les crescendis, enfin d’embaumer l’esprit et le coeur des similitudes de refrains de voix d’enfants remplis d’entrain ou de bonheur. Luca Buratto joua en premier sur un piano d’époque pré-double échappement avec deux pédales à sa lyre. Suivait la très fébrile sonate opus 22 que Luca Buratto a alors jouée sur piano Steinway moderne et non le piano d’époque employé pour les Kinderzenen si majestueusement doré en sa lyre, ses pieds puis son couvercle et sa ceinture, majestueusement ouvert sur sa béquille élégante…L’artiste qui a dû certainement ressentir un serrement au coeur devant la maigre assistance, nous a offert après l’entracte l’Arabeske opus 18 à nouveau sur le premier piano. Enfin, de retour sur le Steinway moderne ce furent de splendides Variations symphoniques avec toutes leurs études et variations ainsi que les ajouts perçus et publiés en édition comme des varias.
Cette fin grandiose de récital fut entièrement irréprochable et spectaculaire. Le rappel choisi fut cependant trop mince (opus 6 un extrait des danses du Davidsbundlertanze opus 6 si je ne m’abuse) car l’artiste aurait pu mousser et faire croître sa légende en nous offrant une idée de sa manière de jouer Schubert ou Chopin ou tiens, Brahms par exemple …pourquoi pas? Ma curiosité ici révélée suppose qu’on voudra pouvoir le réentendre. Je n’ai donc aucune réserve à affirmer qu’il a un talent indéniable dans Schumann et mes seules impressions de retenue ne vont que pour les multitudes d’indications rallentando et ritardando des partitions qui lui offriraient la possibilité de freiner ses chevaux agiles et emportés comme la jeunesse les fouette allègrement.
C’est là qu’il aurait la possibilité d’émouvoir davantage en étirant le temps pour surdimensionner l’émotion de l’espace qu’occupent les accents mélodiques comme Kempf, comme Arrau, comme Gieseking, comme Richter, comme Horowitz et surtout les extraordinaires Martin Helmchen et l’incontournable référence Eric Le Sage (10 disques étiquette Alpha 813) que monsieur Buratto aura intérêt à écouter et méditer longuement car ces deux derniers vrais phénomènes sont vivants et constituent ceux qui jouxtent son talent d’une présence comparative à laquelle on ne peut échapper de nos jours d’abondance documentaire musicale. M. Luca Buratto s’est exprimé directement au public en son anglais (les Montréalais sont parfaitement bilingues, règle générale) mais sa voix ne portait pas assez loin dans la salle, faute de diction nette ou par un manque de coffre à sa tessiture trop ténue…cela eut l’effet qu’on n’entendait à peu près pas ses paroles ou ses remarques. Mais sa musique, pour laquelle nous étions venus avec expectative, nous a vraiment enchantés. Son disque sur Hypérion (CDA 68186) le met hautement en valeur. Combien est courageuse cette volonté de poindre et de s’affirmer au monde de la musique par concours musicaux interposés!