Joué, dansé, chanté le plus souvent à guichets fermés dans 45 villes de dix pays, l’oeuvre chorégraphique Dance Me permettra sans doute aux Ballets Jazz dirigés par Louis Robitaille – fort bien ici assisté du metteur en scène Éric Jean – de s’inscrire durablement parmi les créateurs mémorables incontournables du 21e siècle.
L’événement de haute danse prend sa source sur la poésie de l’irremplaçable chansonnier montréalais Leonard Cohen. Ce ballet atteint en imagination la stature des signatures légendaires parfaites en flair de jeunes nouveaux Balanchine ou Jerome Robbins (New York City Ballet). On en sort donc remué d’un véritable coup de foudre d’émotions poétiques parfois inextricables. Cette bouleversante promenade au pays de Cohen agit avec force grâce aux trois chorégraphes Andonis Foniadakis, Annabelle Lopez Ochoa et Ihsan Rustem. La perfection visuelle y est aussi pour beaucoup, de même que l’utilisation imaginative de se trouver en présence des mémoires (Cohen en témoignage enregistré ou dactylographié parle notamment, entre autres, de sa relation avec le sculpteur Armand Vaillancourt et sa femme Suzanne). Ainsi, source réitérée d’émotions, on y entend sans relâche la voix jeune ou âgée du poète.
L’oeuvre est aussi fascinante parce qu’elle est conduite avec un doigté de maître, d’une continuelle adresse en gestuelle corporelle, avec des enchaînements pétris d’amoureuse sensualité décuplée par des effets spéciaux possibles aujourd’hui par assistance informatique. On y parvient par des décors minimalistes, des corps bien évidemment d’une beauté onirique. Les chansons plus que poétiques de Leonard Cohen qu’on y figure et qu’on se bouscule à courir réécouter une fois revenu à la maison sont magistrales telles A Thousand Kisses Deep, Dance Me to the End of Love, Suzanne, Here It is… et au total douze autres sous conception musicale d’Alexis Dumais et direction Martin Léon.
Tous les danseurs vêtus par le designer Philippe Dubuc méritent la suprême accolade de voir souligner leur sensuelle fulgurance au carrefour de l’unisson ou de la symétrie ou des effets-miroirs de l’ensemble des figures déployées. La sublime poésie de Cohen se greffe au rayonnement évocateur de ces corps sculptés, en vives alertes, en bondissements virevoltés et munis d’élasticité tant dans l’ombre qu’à la lumière d’effets visuels soignés par Pierre-Étienne Locas, Alexandre Brunet, Simon Beetschen, Cédric Delorme-Bouchard et la conception vidéo de Gonzalo Soldi, Thomas Payette et Jeremy Fassio.
Deux danseurs s’illustrent en chantant avec une sobre justesse deux chansons, soit Hallelujah par Jeremy Coachman et So Long Marianne avec Kennedy Kraeling. Ce remarquable pour ne pas dire phénoménal travail d’équipe, tout à fait unique dans l’histoire de la danse québécoise, était judicieusement filmé pour diffusion partout au Québec et, jeudi soir 14 mars, le directeur général de Danse Danse, monsieur Pierre Desmarais, avait plus que raison de s’en dire enchanté au soir de la Première.
Pour ceux qui s’en souviennent encore, ce spectacle a atteint le degré de splendeur éprouvé par tout spectateur durant les années 70 et 80 avec la venue des Ballets du Vingtième Siècle de Maurice Béjart et le degré de perfection dans l’exécution des productions inoubliables du Bolshoï, du Kirov, du Ballet de Perm venus jadis en quasi perfection (en ballet classique, cette fois) ici nous éblouir.
Voici le nom des douze ou treize autres valeureux danseurs émérites des Ballets Jazz de Montréal n’ayant point chanté qui nous galvanisent par cette production dont on redemandera encore la représentation: en prédominance Céline Cassone, Yosmell Calderon, Brandi Baker, Kennedy Henry, Elijah Labay, Andrew Mikhaiel, Benjamin Mitchell, Saskya Pauzé-Bégin, Julia Radick, Mark Sampson, Izabela Szylinska sous le maître de ballet Jeremy Raia et Cohen réincarné en Louis Robitaille qui démarche…
Jusqu’au 23 mars
THÉÂTRE MAISONNEUVE
Durée : 1 h 20
Photo: Marc Montplaisir