Au fil des trente-sept années du Festival Image et Nation desquelles nous avons des souvenirs de salles combles à l’Impérial et au Parisien, il arrive encore que nous souhaitions, secrètement, que la thématique ou problématique gaie de tel ou tel film soit abordée de manière définitive, qu’une révolution s’opère enfin au sein des mentalités.
Mais la Terre est vaste de peuples et de cultures: à tour de rôle, ces nations en évolution défilent sur les écrans du Festival Image et Nation avec les mêmes préoccupations que jadis. Nous avons parcouru une demi-douzaine de longs métrages cette année.
Couvrir mur à mur comme jadis
Ayant souvenir des années fastes où j’étais plus disponible et magnétisé par le grand écran qui est définitivement en crise tous festivals confondus, j’avais plaisir à voir 5 ou 6 films par jour. Ma patience s’est évanouie et, désormais, au bout de trois films quotidiens, je tire ma révérence.
Parfois, je me préserve et sors devant certains fouillis. Mais la plupart du temps, je reste : je réfléchis aux perspectives de nouveaux cinéastes souvent convaincus de leur génie quelque salle vide qui puisse leur indiquer tout le contraire. On croit à tort que les sociétés ont évolué définitivement.
Baby
On n’a pas eu encore, cette année (il m’en reste 5 à voir) de grand chef-d’oeuvre comme Call Me by Your Name avec ses coloris et décors soignés à la James Ivory ou encore Madame de Stéphane Riethauser primé triomphalement tout partout et au beau Cinéma Impérial de jadis dont on s’inquiète de l’état des lieux.
Les films brésiliens et argentins se distinguent cette année du lot dont Baby (Brésil, 2024, 107 minutes) de Marcelo Caetano: il fait partie des belles découvertes avec cette réalité persistante de la pauvreté des garçons homos des favélas allant de la prison à la rue dans un va-et-vient d’évasions ponctuées d’amours déçues.
L’attendrissant jeune garçon Wellington (Joāo Pedro Mariano) qui rencontre, par providence, le mûr Ronaldo (Ricardo Téodoro) redonne foi dans l’amour surprenant des plus jeunes pour les plus avisés sur leur route…quoique encore prostitution et trafic de drogues lacèrent le film de réalités répétitives exaspérantes confirmant que la misère étend partout ses tentacules sur notre suffocante planète qui porte quatre fois plus de monde, en sa toupie, qu’à l’époque de la première édition d’Image et Nation.
Le film Mascarpone no. 2
Un autre film épisodiquement étampé The Rainbow Cake, Mascarpone 2 (Italie, 2024, 105 min par Alessandro Guida) récapitule un motif amoureux de rupture incomplète au sein de la désormais plus gaie que jamais Rome-Ville-Ouverte. Les lieux de tournage bercent le regard voyageur du cinéphile, avec les histoires d’infidélités, de ruptures capricieuses, d’apartés amoureux à la sauvette, de dénis de sensualité accablant la solitude individuelle toujours exacerbée des gais au grand écran.
Tout ceci en fait un beau divertissement: la beauté à la Alain Delon d’Antonio (Giancarlo Commare) y joue pour beaucoup.
Queer
Le film d’ouverture Queer (Italie, 2024, 136 minutes de l’Oscarisé Luca Guadagnino) désormais tout partout en salle et qui aura assuré, deux fois, des salles combles au festival – sans aucun doute pour apercevoir le très vieilli James-Bond-Daniel Craig s’exercer plusieurs fois à bien savoir embrasser (c’est toujours « la scène » de vérité pour un véritable grand acteur) – eh bien ce film m’a énormément déçu de son décousu scénique, narratif et visuel.
Il est vrai que l’existence et le roman de William S. Burrough m’ont toujours laissé froid de compassion impuissante pour qui omet de vivre entouré de vraie poésie et d’exaltation de l’âme. Aucun visage n’y perce l’écran: l’histoire de flirt avec un bisexuel peu compétent amplifie le sentiment d’errances des loques humaines étourdies qui se complaisent à la station Néant, abîme de tant de ratés accrochés aux paradis artificiels.
High Tide
Film américain tourné par un autre Italien, High Tide (USA, 2024, 101 minutes, par Marco Calvani) se passe dans la légendaire Provincetown de carte postale avec ce Lourenço (Marco Pigossi) un joli jeune homme du Brésil à la limite de la régularisation de son émigration au pays du déclinant Oncle Sam.
Une maladresse flagrante de savoir-faire derrière la caméra, des scènes insipides et peu crédibles d’hésitations à exprimer le désir d’amour physique – à Provincetown out-of-all-places! – ces hésitations sensuelles peu conformes aux générations gaies d’aujourd’hui (même de quiconque, comptable, venu du dit-religieux Brésil profond) et surtout ces relents d’existences usées en exil là-bas, ces incohérentes longueurs défilent pour peindre la platitude. Sans omettre un foisonnement de figures clichés du milieu des ragots et frivolités passéistes, les agressifs mal baisés dont on ne rit plus du tout.
Tout ça rendait le film tiède et tout en longueurs pessimistes. Le jeu des acteurs n’entraîne pratiquement aucune captation de la bienveillance d’un public qui s’y ennuie franchement jusqu’à l’exaspération : l’expression de longs soupirs pas toujours contenus couronne ce désarroi.
Coup de cœur: The Astronaut Lovers
Le film argentin de Marco Berger (116 min, version originale espagnole) étire jusqu’à la plus extrême limite la parodie du long désir d’expérimentation d’un jeune hétérosexuel cherchant mille contours humoristiques pour ne pas exprimer son penchant définitif : la passion crève l’écran tout au long d’un beau film, léger qu’en apparence.
Le jeu de Pedro (Javier Orán) si bel homme d’intelligence profonde et d’adroite retenue, se conjugue avec celui de son copain d’enfance Maxi (Lautaro Bettoni, autre garçon assez bien fait) jusqu’à l’exaspération à laquelle met fin un qui-proquo fort habile. Les protagonistes sont entourés tous deux d’une jeunesse amicale, rieuse, ouverte à la différence et l’expérimentation amoureuses.
Un côté moliéresque exaltant enchaîne de multiples scènes de faux dépit amoureux, des fictions de feintes amoureuses, mais au final c’est une remarquable, je dirais une magnifique déclaration d’amour irrésistible ou mieux encore un cantique à la gloire de l’inéluctable désir d’amour.
Seul le tendre baiser passionné, enfin suscité, le fait naître, au départ de l’idylle, et puis perdurer.
Se termine aujourd’hui.