Voici Crise-RH, un véritable chef-d’oeuvre de suspense psychologique.
Résumons rapidement l’histoire se déroulant en France: on cherche à se défaire de cinq employés d’une grosse boîte sans toutefois les congédier formellement, faute de motif valable ou justifiable en toute légalité (on appelle ça, au Québec, la cause juste et suffisante). De tout temps, une tendance à l’inhumanité grandissante des méthodes de gestion des ressources humaines a pu être observée comme une fièvre gagnant le coeur engourdi du grand malade «humain» sorti de l’état de nature pour devenir un être sociable, comme dirait Jean-Jacques Rousseau. Tant au sein des entreprises privées que celles de l’État et dans les petites ou moyennes entreprises également, nous est remise sous les yeux telle ou telle technique du débarras par la contrainte à l’inaction, la mise en isolement, la stigmatisation du rendement sous de nouveaux barèmes ou une foule de messages dépréciatifs et contradictoires.
Ainsi, au sein de cette boîte parisienne très remplie de grands carriéristes, Émilie Tesson-Handsen (jouée par Céline Sallette) est une chef de service protagoniste de ces actes sauvages de sacrifices d’existences humaines que l’art des ressources humaines fignole. Emilie, cette héroïne grand-format des RH se consacre donc à cette barbarie entrepreneuriale obligée pour 100,000 euros annuels nets. L’aplomb de la comédienne, le remarquable contrôle de son faciès, son regard assassin, ses minauderies manipulatrices, ses feintes de réconfort, ses fuites habiles ne rencontrent leur égal que dans la ferme résolution de l’enquêtrice du travail dépêchée rapidement sur les lieux après mort d’homme: c’est un rôle joué tout aussi éloquemment par Violette Fumeau qui brille de tous ses feux de justicière. L’écran n‘est pas assez large d’ailleurs pour montrer l’éclatante droiture de cette dernière qui sait répondre du tac au tac, brièvement, à la gestionnaire inébranlable, ne laissant aucune équivoque de duperie à chaque avancée contradictoire des dépositions contribuant à son enquête.
En voulant sauver seulement sa peau, quitte à falsifier ou faire disparaître des documents compromettants, une métamorphose et transfiguration s’opère peu à peu dans la criminelle… comme jadis au théâtre chez Médée, Phèdre ou Rodogune! Peu à peu se craquèle de rides angoissées ce visage à l’origine serein si sûr d’elle-même: c’est la chambranle de la dame d’acier jouissant jadis quasiment des pleins pouvoirs des ressources humaines et de la confiance du grand chef directeur des RH Stéphane (joué par un Lambert Wilson en grande forme). C’est par son comportement bien trop sûr de lui-même que la faute d’hubris sera commise assurant un dénouement hors de l’ordinaire en milieu de travail.
Le film atteindra donc avec la plus grande adresse son point culminant pour nous laisser pensif sur la gravité du lieu, ici au comble, puisqu’il y a eu mort d’homme. À noter la flagrante inaccoutumance à une telle situation ou des salariés sont présentés ici en solidarité d’émotion et de deuil: ils montrent à la protagoniste de cette gestion impitoyable tout l’odieux de la limite franchie par son comportement et celui de ses supérieurs qui exigent d’elle ces «résultats». Notons que cette situation de solidarité est plutôt rare comme incidence en milieu de travail où le chacun pour soi et l’ambition à tout prix pour sa propre carrière transcendent de beaucoup la compassion et affaiblit les probabilités de dénonciation ou de témoignage. Il y a cent à parier contre un que l’employé intelligent fuira un tel lieu de travail en maladie ou formulera une demande de mutation (si la santé est trop atteinte, la démission est préférable même). Les employés de l’État qui se croient à l’abri de ces techniques assassines n’ont qu’à bien se tenir avec la micro-gestion en vogue aujourd’hui et les provocations collégiales d’un monde détestant la compétence.
Ainsi Crise-RH porte sur un sujet brûlant d’actualité: on n’y examine certes qu’un cas d’espèce en France – et le film tombe en pleine époque du révisionnisme du gouvernement du jeune Emmanuel Macron proposant d’amender les lois du travail! Dans une suite de remarquables ouvrages dont Le harcèlement moral, Marie-France Hirigoyen élucide cette attitude de l’omission de réponse et celle du silence complet à toute demande de l’employé car personne ne répond aux requêtes d’entretien explicatif ou d’explications claires de l’employé exigeant justice. On le tient sur les marges, faisant la sourde oreille à ses demandes de défis nouveaux: on ne lui offre aucune promotion, le salaire plafonne aussi et surtout on le dirige vers un cul-de-sac professionnel ou un isolement physique (un réduit emmuré comme bureau) ou moral (aucun de ses griefs n’est examiné, parfois le syndicat même est de mèche car il protège ses membres les plus influents en son sein, même fautifs, et non le droit). Ces méthodes de harcèlement par la passivité et la mise au rancart menant à la dépression ou la violence envers soi même ou envers les autres est fort destructrice. Ce traitement pousse t-il nécessairement vers la porte ou la démission? Et il ne faut pas imaginer qu’il ne touche que de supposés incompétents mais bien au contraire les travailleurs avec une vision nouvelle ou bien assise en fondements et traditions de leur profession ne cadrant pas avec celle de l’entreprise ou du ministère en totale ou constante réforme loufoque, on est, croyez-le, tous interpelés au coeur de ce suspense réaliste.
Les travailleurs performants, intègres, difficiles à téléguider sur de simples ordres péremptoires ou des diktats à courte vue sont partout dans la mire des RH. En somme, ce film c’est un condensé d’un épisode où on tente de se débarrasser d’une personnalité pas même encombrante, car elle n’était que superflue.
La naïveté n’a pas cours en ces matières. Quiconque a eu affaire avec les différents maillons de supposée défense des salariés sait que la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) au Québec refuse systématiquement en première instance après une feinte d’enquête ou de révision de soutenir ou d’agréer à la version première et primordiale de l’employé. La Commission des lésions professionnelles ne s’attardera ensuite qu’à l’aspect médical et la jurisprudence est un dédale ou un labyrinthe duquel l’homme simple ne pourra seul sortir… Et à la Commission des relations du travail se plaindre à l’arbitre de l’injustice subie par l’indifférence d’un syndicat en collusion avec l’employeur, c’est possiblement se plaindre à celui-là même qui est nommé par le syndicat pendant 5 ans pour décréter en faveur de celui qui le nomme. Il espère ce renouvellement de sa fonction pour un autre 5 ans… comme arbitre désigné par ce syndicat… On en reste aux Animaux malades de la Peste, cette fable incontournable de La Fontaine. Au travers de tout ça, il y a les avocats des uns et des autres, quelques-uns intègres, certains disent qu’ils sont la plupart véreux, prêts à plaider le faux pour le vrai et se faire assister de faux témoignages fort abondants à intervenir. Pour les opportunistes qui ne songent qu’à leur carrière, ou pour jouer un rôle de bouffon parmi des collègues coalisés contre un des leurs trop performant à maints chapitres, plaider contre ce collègue et ruiner ses chances de justice, ce n’est pas grand chose pour leur conscience. Le film ne va nullement dans ces directions ni jusqu’aux détails de l’enquête criminelle qui, au moins, débutera, entendu que tout le monde sait qu’en matière de justice et de délais, être hors-délai ou entendu trop tard, tout ça remet le(s) coupable(s) dans la travée des innocents jamais jugés faute de temps, de preuves, de juges intègres ou d’argent.
Le film Crise RH est à voir et il tombe au meilleur moment en France où les masses se mobilisent encore solidement. Congédier sans cause juste et suffisante n’est pas le débat ici, voyez que c’est plutôt celui de pousser sciemment des individus professionnels et compétents, avec, à leur suite leur famille entière, vers la ruine… tout ça pour des motifs de nouvelles valeurs entrepreneuriales sauvages présentées comme une rationalisation ou une optimalisation. Allez voir ce film, voilà le meilleur conseil qu’on puisse recevoir. Heureusement, il reste encore des boites où oeuvrent des gens intègres et sensibles aux souffrances des employé(e)s. Le réconfort qu’on trouve auprès d’elles et d’eux dans ces situations valent leur pesant d’or.
Crise R.H. Corporate 2017 France 95 minutes. Réalisé par Nicolas Silhol. Avec Céline Salette, Violaine Fumeau, Lambert Wilson, Stephane de Groodt.
Au festival Cinémania, salle de l’Impérial, rue Bleury, ce lundi 6 nov. 16h00. Station Place des Arts.
DATE DE SORTIE AU QUÉBEC: